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JEAN-SÉBASTIEN
BACH EST-IL UN GRAND COMPOSITEUR ?
Article
général de synthèse proposant d'examiner, à titre d'exemple, les causes
possibles de la notoriété d'un compositeur: Bach, notamment par comparaison
avec son contemporain Vivaldi.
L'émergence
des grands compositeurs est-elle due à l'intérêt musical réel de
leurs oeuvres pour le public ou bien représente-t-elle le résultat d'une
alchimie complexe dans laquelle intervient principalement la composante idéologique?
Le nom de Bach semble particulièrement illustrer l'influence des facteurs
extra-musicaux dans la reconnaissance du génie, réel ou supposé. La
comparaison avec son contemporain Vivaldi permet d'en saisir toute l'ampleur.
NOTORIÉTÉS
DIFFÉRÉES
Selon
les biographes, la renommée de Bach en son temps ne dépassait guère celle de
sa province, alors que la notoriété de Vivaldi, son aîné de sept ans, s'étendait
au contraire dans presque toute l'Europe.
La différence de notoriété entre les deux compositeurs
peut être objectivée par le nombre d'œuvres éditées de leur vivant. 14 opus
de Vivaldi sont édités notamment par Roger à Amsterdam, mais aussi à Londres
et Paris, soit plus de 40 sonates, plus de 90 concertos (d'après "Verzeichnis
der Werke, Ryom Peter, VEB Deutscher Verlag für Musik Leipzig, 1974, pp158-163")
alors que les éditions de Bach sont exceptionnelles (principalement la Cantate
n°71, 4 parties du Clavier-Übung, Schemelli Hymnbook, Musical
offering, Canonic Variations BWV 769, Chübler chorales, Art
of fugue, Canon BWV 1076 selon New Grove Dictionary of music and
Musicians, Macmillan Publishers Limited, London, 1989 p. 804). D'autre part,
des copies manuscrites d'œuvres de Vivaldi ont été découvertes en des lieux
très éloignés de Venise : bibliothèques de Norvège, Pologne, Suède
(d'après Vivaldiana, Centre International de Documentation Antonio Vivaldi,
Vaillant-Carmanne, Liège, [s.d.])
Bach
retranscrira d'ailleurs pour clavier de nombreuses oeuvres du compositeur vénitien
alors que ce dernier a probablement ignoré le nom du Thuringeois.
Bach a transcrit 10 concertos de Vivaldi, 6 pour clavecin,
1 pour 4 clavecins, 3 pour orgue (d’apèrs Bouquet-Boyer, Marie-Thérèse - Vivaldi
et le concerto - Editions Que Sais-je (PUF), Paris, 1985 – p. 107)
A la fin du XVIIIème siècle, après sa mort, Vivaldi est
oublié, mais alors que Bach acquiert peu à peu une notoriété européenne
post-mortem vers 1820*, la redécouverte de Vivaldi devra attendre plus d'un siècle
encore. **
* Notamment, la première recréation de la Passion selon
Saint-Matthieu date de 1829 à Berlin selon le New Grove Dictionary of music
and Musicians (1989)
** Le 28 janvier 1928, quelques concertos transcrits par
Gentili étaient présentés pour la première fois au public turinois. La
connaissance de l'œuvre de Vivaldi auprès du grand public ne prendra son essor
qu'après la fondation de la Scuola Veneziana par Angelo Eprikian (d'après
Vivaldiana, Centre International de Documentation Antonio Vivaldi,
Vaillant-Carmanne, Liège [s.d.].)
De
surcroît, alors que Bach est quasi universellement admiré par les
musicographes, et parfois considéré comme le plus grand compositeur,
Vivaldi demeure pour eux un compositeur relativement mineur. La comparaison des
notices consacrées aux deux musiciens dans les principaux ouvrages d'histoire
de la musique est significative à cet égard. L'"Histoire de la Musique
de Larousse (La Musique, les hommes, les instruments, les œuvres, tome 1
sous la direction de Norbert Dufourcq - Larousse, Paris, 1965). consacre 3
grandes pages et demi à Bach contre à peine un quart de page à Vivaldi, soit
un rapport de 12 à 1. L'ouvrage titre Trois grands maîtres du baroque J.S.
Bach, Haendel et Telemann, les autres compositeurs de cette époque étant
apparemment jugés secondaires. L'Histoire de la Musique occidentale de
1983 - ouvrage de plus de 800 pages écrit par 17 spécialistes - (Histoire
de la Musique occidentale, Messidor, Paris, 1983) consacre 15,5 pages à
Bach contre 5,5 à Vivaldi soit un rapport de 3 à 1. L'Histoire de la
Musique de Larousse (2000) consacre 571 lignes à Bach contre 80 lignes à
Vivaldi, soit un rapport de 7 à 1 (Histoire de la Musique de Larousse,
Paris, 2000). La Petite encyclopédie de la musique, 1997, consacre
dans son histoire de la musique 76 lignes à Bach contre 5 à Vivaldi, soit un
rapport de plus 15 à 1.
La petite encyclopédie de la musique sous la direction de
Brigitte Massin , Editions du Regard, 1997.
On doit noter cependant que la partie biographies de cet ouvrage consacre
2 pages à Bach contre 0,7 page à Vivaldi, soit seulement un rapport de 3 à 1.
L'importance comparée des deux compositeurs dans cet ouvrage revêt d'autant
plus de signification qu'il s'agit d'un ouvrage pédagogique à destination de
la jeunesse. Il représente donc une image des connaissances basiques que
l'on croit devoir transmettre aux générations futures.
Dans
La musique, Histoire, dictionnaire, discographie (1969), Roland de Candé,
auteur pourtant d'une monographie sur Vivaldi, traite toutes les oeuvres
italiennes (Vivaldi, Tartini, Pergolesi… et même Leclair ?) dans un
paragraphe commun intitulé Concertos italiens, alors qu'il consacre un
paragraphe spécifique à Bach, un à Haendel, un à Rameau. The New
Encyclopaedia Britannica - (Chicago, 1992 (dernier copyright) - vol 24 notice
History of western Music) consacre 21 lignes à Bach alors que Vivaldi est
simplement cité (au même titre que Corelli ou Tartini).
16 de ces lignes sont consacrées en commun à Bach et
Haendel. L'auteur précise: The Baroque area reached
its zenith in the work of Jehann Sebastien Bach (1685-1750) and Georg
Frideric Haendel (1685-1759). - p 559
Les
ouvrages d'histoire de la musique dans tous les registres (ouvrages de spécialistes,
ouvrages pédagogiques, ouvrages de vulgarisation...), généralement édités
par les plus grands éditeurs, qu'ils soient signés ou supervisés par les plus
hautes sommités de la musique ou écrits par des critiques, des hommes de
lettres, des professeurs d'éducation musicale depuis 1965 (donc postérieurs
aux travaux qui ont permis l'exhumation de Vivaldi et à la fameuse vogue de ce
compositeur dans les années 1960) jusqu'à nos jours permettent d'apprécier
durant ce laps de temps la différence de considération des deux compositeurs
par l'intelligentsia officielle et l'ensemble de la société musicale. Dans les
grandes histoires de la musique écrites collectivement et appartenant aux
collections des grands éditeurs, ces différences sont sans doute imputables en
partie à l'inertie propre aux ouvrages de référence où un certain fixisme
est toujours difficile à bousculer. (par rapport aux ouvrages d'auteurs isolés),
cependant Bach demeure toujours considéré, de loin, comme le compositeur
baroque le plus important. Quelle que soit l'origine de ces différences, nous
constatons objectivement la persistance à l'aube du 21e siècle d'un choix préférentiel
initié il y a deux siècles. D'autre part, il nous semble que le prestige du
Cantor auprès des Intellectuels d'aujourd'hui, d'une manière générale,
demeure toujours aussi considérable qu'au début du XXe siècle alors que l'image
de Vivaldi reste pour eux - malgré ses succès auprès du public mélomane et
peut-être à cause de ceux-ci - attachée à celle d'un compositeur secondaire,
plutôt superficiel. La notice du dictionnaire Larousse de 1957* n'est sans
doute guère éloignée de l'opinion commune de nombreux Intellectuels d'aujourd'hui
se piquant d'être des mélomanes supérieurs.
*VIVALDI Antonio : violoniste et compositeur vénitien
dont la virtuosité et la sensibilité extérieure l’emportaient fréquemment
sur la profondeur de l’expression. (Larousse classique - Larousse,
Paris, 1957)
La
différence de traitement entre les deux compositeurs (Bach et Vivaldi) dans les
ouvrages d'histoire de la musique peut ainsi paraître surprenante dans la
mesure où il n'est pas certain que l'audience réelle de Bach auprès du public
soit supérieure à celle de Vivaldi, tout au moins dans des proportions aussi
importantes, et surtout si l'on compare le rôle de chacun de ces compositeurs
dans l'évolution musicale.
En
effet, de l'aveu même de l'ensemble des musicologues, Vivaldi joua un rôle
considérable dans le développement du concerto pour soliste, d'autre part son
apport dans le domaine du symphonisme demeure incontesté. Au contraire, Bach se
présente comme un conservateur typique qui ne modifia pas le langage musical de
son époque. Il se caractérise par une attitude passéiste privilégiant la
musique religieuse, le chant choral, les formes anciennes comme la fugue, l'écriture
polyphonique. En déphasage d'un demi-siècle sur les nouveautés de son époque
pour l'essentiel de sa production, il représente donc plutôt un pont entre le
dix-septième et le dix-huitième siècle. Comment dés lors comprendre l'importance
acquise par le nom de Bach aujourd'hui ? Une rétrospective des circonstances du
Bach revival peut sans doute apporter quelques éléments de réponse.
Certains
ouvrages signalent les références à Bach chez de nombreux compositeurs du 19e
et 20e siècle. L'existence de cette influence sporadique - concernant
des oeuvres généralement de nature contrapuntique, souvent didactiques et
visiblement en marge de l'évolution générale de la musique à partir du 18e
siècle (laquelle est vouée au développement de la monodie accompagnée) ne
saurait être comparée à l'immensité des oeuvres qui s'inscrivent dans la
lignée du style concertant ou symphonique et ne saurait justifier un développement
à notre avis aussi inconsidéré dans les notices de Bach par rapport à une véritable
influence sur l'évolution du langage musical. D'autre part, ces références
pourraient n'être qu'une conséquence de l'apologie d'ordre idéologique initiée
artificiellement sous le nom de Bach au début du 19e siècle et que nous
analyserons dans le chapitre suivant.
IDOLÂTRIE
Selon
toutes les sources, la première étape de la redécouverte de Bach est due au
musicographe Forkel, qui retrace la biographie du compositeur en 1802. Dès lors,
relayé par des sociétés savantes, le nom de Bach va irrésistiblement se répandre
à travers l'Europe selon ce que rapporte le New Grove Dictionary of music
and Musicians (1989), la Bach-Gesellschaft en 1850, puis la Bachvereine, la
société Bach de Gustave Bret à Paris, beaucoup plus tard… À Londres, au
XIXème siècle, Wesley, un des zélateurs les plus fervents du Cantor, le présenta
comme un superhuman genious, l'affubla des surnoms de "Saint Sébastien",
"Our Appolo" et sa propagande convertit de nombreux sceptiques,
notamment Burney, le vieux musicologue. Walmisley menait la même
propagande en enseignant déjà à ses étudiants de "révérer"
Bach au-dessus de tous les autres compositeurs
At Cambridge in the 1840, T.A. Walmisley lectured on
Bach and taught his students to revere him above all other composers. (New Grove
Dictionary of music and Musicians, Macmillan Publishers Limited, London,1989)"
Par la suite, l'enthousiasme ne fléchira pas comme on le verra dans les citations
qui
suivent, tirées d'ouvrages, pour la plupart à grand tirage et réédités,
donc significatifs par l'influence qu'ils ont pu exercer et l'importance du
courant idéologique qu'ils véhiculent.
Le
Larousse du XXe siècle de 1928 (Larousse du XXe siècle en 6 volumes,
Librairie Larousse, Paris, 1928), pourtant assujetti à la prudence et à l'objectivité
qui caractérise les usuels, ne craint pas d'affirmer
à propos du Cantor:
La
puissance de la production n’a d’égale chez lui que la beauté et la
richesse de l’inspiration et une science incomparable. […] Cet artiste
prodigieux s’est produit dans tous les genres et s’est montré supérieur
dans tous. […] Les hardiesses de son inspiration... devant lesquelles on n’a
pas cessé de s’émerveiller sont comme des “prolégomènes à toute musique
future.
Dans
le même esprit, Eugène Vuillermoz, dans son Histoire de la musique, 1973,
première édition: 1949 affirme:
Mais
ce qui fait sa supériorité écrasante sur tous les compositeurs de son temps,
c’est le caractère profondément sensible qui transfigure ses partitions les
plus formalistes. (Vuillermoz Émile, Histoire de la musique, Fayard, 1973, première édition: 1949, p 140)
Roland
de Candé (Jean-Sébastien Bach - Seuil, Paris, 1984) présente la recréation
de la Passion selon saint Matthieu comme un événement majeur de
notre civilisation. Il ajoute :
Tous
les genres musicaux connus à son époque, à l'exception de l'opéra, ont été
par lui [Bach] amplifiés de façon extraordinaire et en quelque sorte projetés
dans l'avenir (p. 292)
Même
le genre du concerto - qui fut inventé par Torelli, développé par Vivaldi
avec l'ampleur que l'on sait - aurait été amplifié de façon
extraordinaire par Bach, dont pourtant la plupart des oeuvres concertantes
sont des transcriptions ou des oeuvres d'authenticité douteuse!
Lucien
Rebatet affirme péremptoirement dans "Une histoire de la musique"
(1969) :
Jamais
organisation musicale plus puissante, plus parfaitement commandée que celle du
Cantor de Leipzig n'a logé sous le crâne d'un mortel. (Rebatet, Lucien, Une
histoire de la musique, Laffont, Paris, 1969.)
Louis Aguettant, le critique le plus influent sans doute de la première
moitié du 20e siècle, qui tient sur Saint-Saëns et Tchaïkovski des propos
d'un mépris absolu, écrit sans complexe:
J'aborderai Bach sans préambule. Aujourd'hui, tout le monde sait que ce nom
est celui d'un musicien que nul ne dépasse, que probablement nul n'égale. p.
51
(Aguettant, Louis - La musique de piano des origines à Ravel - Albin Michel,
Paris, 1954)
Et
le chef d’orchestre W. Furtwangler, dans une déclaration, résume bien, nous
semble-t-il, le phénomène de sacralisation attaché à Bach :
Bach
est le saint qui trône, inaccessible au-dessus des nuages, le plus grand des
musiciens, l’Homère de la musique, dont la lumière resplendit au ciel de
l’Europe musicale.
Camille
Mauclair remarque justement dans La religion de la musique de 1908 l'exception
que représente Bach par rapport à son traitement par les musicographes au début
du XXème siècle :
L’écriture
des maîtres les plus illustres est l’objet de sévères analyses : aucun
peut-être, sinon Bach, n’est à l’abri de ces investigations...”(Mauclair,
Camille, La religion de la musique, Librairie Fishbacher
Paris 1908 environ, p. 104)
Il
semble que toute velléité de critique envers Bach représente un sacrilège.
C'est également à propos de Bach que se trouve exprimé à son plus haut degré
le dogme de l'infaillibilité du compositeur, comme le montre cette
citation d'Edmond Buchet dans Connaissance de la musique (1942) :
Or,
ce qui, chez Bach, ne lassera jamais mon étonnement et mon admiration, c'est précisément
ce sens musical si dense à la fois si concis et si inépuisable, dont toutes
ses oeuvres, sans exception, sont chargées. (Buchet, Edmond, Connaissance de la musique, Éditions Correa Paris
1942, p. 161).
Un exemple particulièrement frappant du dogme de l'infaillibilité
du compositeur nous paraît avoir été manifesté par Jacques Chailley.
Dans son ouvrage Les Passions de
Jean-Sébastien Bach, (PUF, Paris, 1963), il considère comme
inauthentique la Passion selon saint Luc, position qu'il n'est d'ailleurs
apparemment pas le seul à soutenir (La plupart des biographes esquivent la
discussion et passent sous silence la Passion selon saint Luc ou la mentionnent
comme d'authenticité douteuse. Cette expression nous semble un minimum, p. 70)
car elle lui apparaît de qualité indigne de Bach : Apparemment rien ne
permet de la suspecter. Rien si ce n'est le respect dû au grand Bach. Car l'œuvre
est mauvaise. Rien n'y trahit la "patte" du maître, p. 70. En
effet, cette oeuvre est bien, selon ce que rapporte Chailley, autographe et elle
porte en plus, la signature JJ (Jesu, juva), laquelle, nous dit-il, permet de
distinguer les propres compositions de Bach des innombrables copies qu'il
effectuait par ailleurs. Cette
attitude du musicologue apparaît d'autant plus curieuse que la Passion selon
Saint Jean, dont seulement les 10 premiers feuillets sont autographes, (fait
fondamental qu'il ne peut avoir ignoré) est considérée par lui comme
authentique sans discussion. La prise en considération de la valeur esthétique
de l'œuvre dans la détermination de l'authenticité nous paraît un argument
irrecevable sur le plan scientifique, d'autant plus qu'elle s'établit à l'encontre
de preuves matérielles incontestables (l'autographie et la signature).
Il semble donc bien qu'existe chez la plupart des biographes un postulat
de la grandeur de Bach qui sursoit à toute considération objective.
Il
nous apparaît que de nombreux ouvrages actuels d'histoire de la musique, et même
des dictionnaires, respectant généralement l'objectivité propre à une
conception quasi-scientifique des sciences humaines, éprouvent curieusement,
tel un réflexe pavlovien, à propos de Bach, la nécessité d'introduire un
jugement de valeur ainsi que des éloges plus propres à des ouvrages
critiques. Les qualificatifs de sublime, génial, admirable, merveilleux
miraculeux y fleurissent alors qu'ils sont généralement absents des
notices consacrées à Vivaldi et à la plupart des autres compositeurs.
Le
caractère idolâtrique de l'intérêt suscité par le nom de Bach depuis le début
du XXe siècle ne peut être contesté. L'outrance manifeste de ces hyperboles,
objectivable par l'utilisation d'un vocabulaire hypertrophié parfois propre au
discours hagiographique, ne peut que susciter, nous semble-t-il, la plus extrême
réserve sur son rapport avec la réalité. Contrairement à ce qu'il en a été
pour Bach, Vivaldi n'a jamais représenté un mythe. Apparemment, il n'est connu
que dans la mesure où sa musique est réellement appréciée, c'est la raison
pour laquelle il pourrait représenter - contrairement à ce que pensent la
majorité des commentateurs - une valeur musicale plus solide et plus
authentique. Outre cette manifestation peu ordinaire d'un véritable culte de
la personnalité, ce qui frappe dans le cas de Bach, c'est l'hiatus entre la
considération dont il jouit auprès des Intellectuels et le succès nettement
plus limité qu'il a obtenu auprès du public mélomane de son vivant et lors de
sa redécouverte au XIXème siècle. Si l'on en croit Nicolas Temperley, un des
rédacteurs du New Grove Dictionary of music and Musicians (1989)
Bach était connu en Angleterre depuis de nombreuses années plus par réputation
que par le contact avec ses œuvres.
Nevertheless, for many years, Bach was known in England
more by reputation than by experience." New Grove Dictionary of music and Musicians,1989, p. 885.
C'est
la même étrange constatation que remarquent Fauquet et Hennion dans l'établissement
de la notoriété de Bach en France au 19e siècle:
Dès le début du 19e siècle, Bach est célèbre sans être
connu (p. 54) Il faut toujours avoir en tête que chez Bach la
réputation précède le succès (p 160) (Fauquet, Joël-Marie/Hennion,
Antoine - La grandeur de Bach L'amour de la musique en France au 19e siècle -
Fayard, Paris, 2000)
C'est
donc un certain caractère artificiel de cette considération émanant de
groupuscules partisans qui, semble-t-il, caractérise l'ascension de Bach au XIXème
siècle. Il semble apparaître que ses zélateurs se sont comptés – et se
comptent sans doute aujourd'hui - beaucoup plus parmi les Intellectuels, comme
le remarque Handschin*, lesquels seraient plutôt allergiques à Vivaldi**.
*N'est-il pas significatif, en particulier, que les
admirateurs de Bach se soient recrutés surtout dans les milieux intellectuels ?
Histoire de la Musique tome 1 Des origines à Jean-Sébastien Bach encyclopédie
de la Pléiade, Gallimard, 1977 – p. 1185"
**La remarque, cependant, ne semble pas s'appliquer aux
musicologues, notamment Arnold Schering, Roland de Candé qui se sont intéressés
aux deux compositeurs.
Certes, l'héroïsation, par exemple à l'égard des grands peintres de la
Renaissance, semble un avatar naturel pour les grandes figures de l'art, que
l'on peut interpréter comme une amplification, sans que cela amène à
suspecter obligatoirement leur génie, mais nous n'y trouvons pas cette volonté
idéologique d'imposer un nom à l'encontre des dispositions naturelles du
public comme c'est le cas chez les promoteurs de Bach.
Nous remarquerons que même si la sacralisation n'apparaît plus avec autant
d'ostentation dans les ouvrages actuels obéissant à une conception de l'histoire
de la musique plus scientifique, ses effets ont été entérinés puisque Bach,
de compositeur quasi-inconnu qu'il était au 18e siècle s'est trouvé hissé
aujourd'hui parmi les 4 grands compositeurs occupant les premières places dans
les histoires de la musique et les dictionnaires de la musique*. De même, si
les anathèmes versées particulièrement contre les violonistes- compositeurs
se sont atténuées ou ont disparu dans les ouvrages les plus modernes, leurs
effets perdurent. Les plus célèbres de ces violonistes-compositeurs qui
avaient atteint une notoriété européenne en leur temps (Vivaldi, Viotti,
Paganini) et modifié le langage musical de leur époque demeurent à l'état de
compositeurs relativement secondaires ou très secondaires.
*Une enquête que nous
avons menée sur une dizaine d'histoires de la musique et une douzaine de
dictionnaire de la musique du 20e siècle nous a montré que les 4 grands
compositeurs arrivant largement en tête (en terme de nombre de pages) étaient
quasi-invariablement Beethoven, Bach, Mozart, Wagner. Vivaldi arrive en 22ème
position.
Tentons
tout d'abord d'expliquer cet engouement soudain pour Bach alors que l'ensemble
de la période baroque, notamment italienne, demeure largement occultée ?
INCONGRUITÉ
DANS L'HISTOIRE DE LA MUSIQUE
L'émergence
privilégiée de compositeurs baroques allemands (Bach, Haendel et, dans une
moindre mesure, Telemann) a pu s'expliquer par l'activité importante des
musicoraphes germaniques au 19e siècle (notamment Forkel, Spitta, Riemann) -
alors que cette discipline reste indigente en Italie.
Before the 20th century the state of musicology in
Italy presented a strange contrast between the richness of the country's
archives and the failure of its scholars to make the best use of them" (d'après
New Grove Dictionnary of music and Musicians (1989) p.
849).
À
cette primauté historiographique en Allemagne, il faut ajouter l'importance des
éditeurs de musique allemands tels Peters et Breitkopf qui entreprirent très tôt
au XIXème siècle une édition intégrale de l'œuvre du Cantor* - la première
jamais réalisée d'un compositeur ainsi que le rôle décisif sur l'opinion des
revues, dont la principale - par un hasard extraordinaire - est dirigée par
Nikolaus Forkel lui-même**.
*Elle fut commencée en 1843 par la London Handel Society
editions (d'après le New Grove dictionary, p 884) alors que l'édition
complète de l'œuvre de Vivaldi ne fut commencée qu'en 1947 par les Editions
Ricordi, d'après Vivaldiana, Centre International de Documentation Antonio
Vivaldi, Vaillant-Carmanne, Liège, [s.d.]).
**L'Allemagne a conservé la tradition des périodiques
musicaux allemands et ceux qui ont été fondés à la fin du 18e par l'abbé
Vogler, JN Forkel et JF Rochlitz n'ont fait qu'annoncer la "Neue
Zeitschrift für Musik" de Schumann qui, peu après sa fondation en 1834,
est devenue l'un des véhicules les plus influents de l'opinion publique. (Université
d'Oxford -Dictionnaire encyclopédique de la musique - Robert laffont, Paris,
1988 - sous la direction de Denis Arnold; titre original : The new Oxford
Companion to music p. 564 article
critique musicale)
Comment
expliquer que l'on a redécouvert au milieu du 20e siècle un compositeur immensément
célèbre en son temps (Vivaldi) et dont les oeuvres se trouvaient dans de
nombreuses capitales européennes jusqu'en Pologne, Norvège ou Suède alors
qu'un autre compositeur (Bach) dont les oeuvres se trouvaient quasiment dans une
seule bibliothèque d'Allemagne sera exhumé un siècle plus tôt, si ce n'est
par la prééminence de l'historiographie allemande et de l'appareil de
propagande qui lui est associé, permettant de communiquer à ses travaux et à
ses conclusions - très orientées - une autorité incontestée ainsi qu'une
divulgation internationale.
Ce sont les conclusions formulées par Denis Arnold: J.S.
Bach était un musicien allemand, donnée fondamentale, au moins a un double
point de vue: lorsque s'éveille la conscience nationale allemande au 18e siècle,
l'intérêt se porte vers un compositeur qui semble devoir peu de choses aux
cultures étrangères (nous savons aujourd'hui que c'est inexact). En outre, l'Allemagne
est un terrain privilégié pour des travaux historiques comme l'archéologie ou
l'étude des archives. J.S. Bach ayant légué de nombreux manuscrits à ses
fils, le matériel se trouve accessible à des ensembles comme la Singakademie
de Berlin, un chœur qui se consacre à la renaissance de la musique ancienne.
(Université d'Oxford - Dictionnaire encyclopédique de la musique - Robert
Laffont, Paris, 1988 - sous la direction de Denis Arnold; titre original : The
new Oxford Companion to music copyright Oxford university presse 1983 - p 169
Denis Arnold)
L'esprit
de nationalisme qui sous-tendait la résurgence de Bach au départ apparaît à
la lecture de la biographie écrite par Forkel. Handschin remarque d'ailleurs
que l'on a pris soin dans la réédition moderne d'éliminer certains passages
jugés trop nationalistes.
Un scrupule de délicatesse qui date de plusieurs années
a fait supprimer, dans la réédition, des passages jugés trop "patriotiques"
(Histoire de la musique tome 1 Des origines à Jean-Sébastien Bach Encyclopédie
de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1977 - p 1185").
Comment
peut-on expliquer en effet que les deux compositeurs de la période baroque
considérés comme les plus importants par les ouvrages depuis la fin du 19e siècle
jusqu'à nos jours soient Bach et Haendel, deux compositeurs allemands, alors
que la prépondérance de la musique italienne s'imposant à toute l'Europe
pendant cette période n'est contestée par aucun musicologue ?
On y trouve parfois associé, comme nous l'avons vu, le
nom de Telemann, autre compositeur allemand pour former une triade reléguant
loin derrière tout autre prétendant.
À cet égard, la notice de l'histoire de la musique du Dictionnaire encyclopédique Quillet (Librairie Aristide Quillet, Paris, 1969 - notice musique p. 4457) nous paraît particulièrement significative. La partie Musiques des 17e et 18e siècles comporte une notice générale (400 mots environ) et des tableaux sur les différentes musiques nationales. Plus de la moitié de cette notice est consacrée à Bach. Aucun compositeur italien n'est cité, mais sont cités Haendel et Rameau. La place consacrée aux musiques nationales dans les tableaux est la
suivante: musique
italienne: 0,18; musique française: 0,29; musique anglaise: 0,08; musique
allemande: 0,45. L'écrasante domination de la musique italienne dans toute l'Europe
à cette époque s'est transformée ici miraculeusement en nette domination
allemande. On saisira l'importance du hiatus entre la réalité historique et l'historiographie.
Notons que Bach dans les tableaux occupe 28 lignes et Vivaldi 1 ligne dans un
ouvrage qui date de 1969.
D'après
l'ensemble des ouvrages, au cours du 17e siècle et de la première moitié du
18e siècle, ce sont en effet les Italiens qui inventent ou développent toutes
les nouvelles formes et dont les artistes s'imposent dans presque toutes les
cours européennes. Généralement, la plupart des noms qui émergent d'une période
artistique sont issus du foyer géographique qui a dominé historiquement. Par
exemple, les peintres impressionnistes célèbres aujourd'hui se comptent parmi
ceux qui avaient inventé et développé cet art en France (notamment Renoir et
Monet) et qui avaient acquis d'ailleurs une incontestable notoriété de leur
vivant. Il apparaîtrait incongru que l'histoire de la peinture les eût tous négligés
pour privilégier un nom de peintre qui se serait inspiré tardivement et
occasionnellement de ce style, serait resté quasiment inconnu de son vivant et,
qui plus est, serait issu d'un autre centre géographique. Il y a donc à ce
niveau une curieuse incongruité dans l'histoire de la musique qui peut nous
amener à soupçonner une certaine déformation. L'on ne saurait reprocher aux
musicographes germaniques leur choix bien légitime et naturel d'étudier et de promotionner
de manière privilégiée les compositeurs de leur pays, ni même leur tendance
nationaliste dans le contexte de l'époque (qu'ils n'étaient d'ailleurs pas les
seuls à manifester), mais, semble-t-il, on doit en conséquence aujourd'hui,
dans le cadre d'une histoire de la musique plus objective et plus large,
relativiser la hiérarchie des valeurs musicales qu'ils avaient établie. Or, si
l'on considère les chiffres de représentativité dans les ouvrages, le rééquilibrage
et surtout la considération sont loin d'avoir été corrigés.
Dans
le sillage de Forkel, Philipp Spitta a loué chez Bach une musique purement
germanique réfractaire a toute influence étrangère, notamment italienne, mais
dès que l'on eut repéré dans ses oeuvres les éléments manifestes et indéniables
de multiples influences, a surgi miraculeusement le fameux argument de la synthèse,
fort commode pour faire apparaître les compilateurs comme des compositeurs supérieurs.
Le génie du Cantor n'était plus de s'être superbement isolé, mais au
contraire d'avoir réalisé une synthèse, naturellement géniale, des
influences italienne, française et allemande. La citation suivante tirée de l'Encyclopédia
universalis Dictionnaire de la musique Les compositeurs (Albin Michel, Paris,
1998) ne traduit-elle pas le sentiment sous-jacent chez de nombreux
musicographes:
C'est
ici où l'on pourrait repenser toute l'histoire de la musique et des arts: il y
a ceux qui veulent régir leur musique, et ceux qui veulent que leur musique les
régisse. Beaucoup de révolutions, et souvent malheureuses, sont nées des
premiers et l'on peut dire que les seconds obtinrent de plus heureuses synthèses.
C'est le cas de Bach. (notice Bach)
On
ne peut signifier plus élégamment que les plus grands compositeurs sont les
compilateurs habiles à utiliser les novations développées par d'autres et que
ces derniers sont des gêneurs qu'il faut évacuer. Un tel révisionnisme à la
discrétion des Intellectuels laisse perplexe.
D'autre
part, le passéisme de Bach, qui utilisa cependant la tonalité propre au 18e siècle,
permettait de le faire apparaître comme l'auteur d'une autre synthèse, entre
le style contrapuntique et le style moderne, ajoutant ainsi à son
universalisme géographique un universalisme temporel. De telles palinodies exégétiques,
s'adaptant si admirablement à la redécouverte d'éléments gênants et
transformant des insuffisances en qualités éminentes, peuvent pour le moins
amener à porter un regard dubitatif sur ces affirmations. De surcroît, la
tendance à la compilation et à l'emprunt manifestés par Bach devenaient, par
la magie dialectique de nos musicographes, une admirable ouverture d'esprit
internationale permettant de saluer en Bach le chantre de la musique européenne.
On peut à ce propos parler de synthèse d'éléments
germaniques et italiens ; cela sans oublier les influences françaises, elles
aussi miraculeusement assimilées et magnifiées. Dictionnaire de la musique -
Larousse, 2001 - sous la direction de Marc Vignal, p. 42 On notera le titre du sous chapitre de cette notice consacrée à Bach: Une
synthèse géniale.
Mieux
encore, l'existence dans ses oeuvres d'une pulsion rythmique pouvant évoquer le
jazz (caractéristique en réalité propre à la musique prébaroque) devait
achever de conformer l'image de Bach à la tendance cosmopolite de l'idéologie
actuelle en même temps qu'elle lui prêtait la transcendance quasi-surnaturelle
d'un génie visionnaire de l'avenir.
Si
le facteur nationaliste a pu au départ jouer un rôle déterminant, il n'est
sans doute pas essentiel, pensons-nous, pour expliquer le développement du culte
Bach à travers l'Europe. D'autre part, il n'explique pas le choix privilégié
de Bach par rapport à Telemann, autre compositeur germanique plus glorieux en
son temps que le Cantor de Leipzig.
On
observe en effet l'apparition de sociétés Bach dans de nombreux pays européens,
y compris jusqu'à Paris, et d'autre part, on peut penser que les musicographes
anglais (comme Wesley et Walmisley) n'avaient pas de motivation particulière
pour préférer les compositeurs allemands plutôt qu'italiens. Bach fut également
soutenu activement par des musicographes d'origines diverses comme André Pirro
ou Alberto Basso par exemple. Le facteur prépondérant responsable du culte
Bach nous semble plus profondément d'ordre idéologique. Certains jugements
de la biographie de Jean-Sébastien Bach par Forkel (1802) paraissent déjà
représentatifs d'une idéologie musicale nettement orientée vers l'intellectualisme
et opposée à une conception artistique hédoniste où prime le plaisir
musical intuitif et l'émotion:
Il
faut en effet s’être assimilé ces compositions [de Bach] pour les pouvoir
apprécier, ainsi que le génie de leur auteur : cela suppose de la part de
l’amateur une étude sérieuse et tenace. (Forkel Johann Nikolaus - Première
biographie de Bach traduction in
"Bach et son temps", Hachette, [s.l.] 1982, p. 444 Édition originale:
1802).
Les
œuvres de Bach se sont pourtant imposées (ou ont été imposées ?) au public
du XXème siècle, quoique celui-ci n'ait guère de propension à une analyse
musicologique assidue des œuvres qu'il entend. Cet intérêt est-il lié au
contenu musical réel de ces oeuvres en tant qu'art ? Considérons les différents
facteurs susceptibles d'expliquer la position relativement favorable occupée
aujourd'hui par Bach auprès du public.
CONDESCENDANCE
D'UN GÉNIE SUPÉRIEUR OU PLAGIAT ?
Il apparaît tout d'abord que les œuvres les plus célèbres de Bach, au moins dans le domaine de la musique instrumentale, pourraient n'être que des transcriptions plus
ou
moins libres, des oeuvres faussement attribuées ou des œuvres largement
tributaires d'emprunts issus de compositeurs tiers, si l'on en croit certains
experts. Précisons que les fausses attributions, d'une manière générale, résultent
d'indélicatesses de la part de compositeurs ou d'éditeurs qui utilisent des
noms connus. Ainsi s'expliquent, au 18e siècle, les fausses attributions sous
le nom de Vivaldi, comme de tout autre compositeur ayant acquis une grande
notoriété en son temps. Les oeuvres désattribuées de Vivaldi ne sont d'ailleurs
jamais devenues célèbres et n'ont jamais participé à sa notoriété.
Concernant Bach, les oeuvres faussement attribuées résultent principalement de
son activité de recopie et de transcription, ce qui atteste son tempérament de
compilateur (par exemple les concertos transcrits d'après Vivaldi, Marcello,
Sachen-Weimar...). Dressons un panorama de ces oeuvres célèbres ou
relativement célèbres dont l'authenticité est contestée. Il semble quasiment
acquis aujourd'hui que la fameuse Grande toccata et fugue BWV 565 n'est
pas une oeuvre de Bach.
Io Tomita, de l'Université de Belfast, commente ainsi la
série des recherches sur cette oeuvre dans sa Bach Bibliography: One
of the most vexing questions facing the recent Bach scholarship concerns the
authenticity of the famous toccata and fugue in D minor (BWV 565). Despite its universal appeal for the awesome image of the composer and
his powerful writing for the organ, there was insufficient evidence to testify
that it was a genuine work by Bach. It is only recently that this long
unresolved case is reopened; it became evident that the ground to attribute the
work to J. S. Bach is still tenuous. (Tomita, Io - On-line review In Bach
Bibliography -13 June 2000 - http://www.music.qub.ac.uk/tomita/bachbib/review/bb-review_Claus-Echtheit565.html
De
même la Fantaisie chromatique ne peut être considérée comme une
oeuvre entièrement écrite par la main de Bach. Il s'agirait d'une
improvisation notée par l'un des fils de Bach qui y aurait ajouté une partie
de sa contribution personnelle. Il est reconnu d'autre part que la fameuse
Passacaille et Fugue BWV 582 est bâtie sur l'exploitation d'un thème provenant
du livre d'orgue d'André Raison.
L'emprunt est noté sur la notice de certains
enregistrements, ainsi que sur le catalogue de la Bach-Gesellschaft. En revanche,
il n'est indiqué ni par l'intitulé de l'œuvre (comme par exemple Variations
sur une valse de Diabelli de Beethoven), ni par le nom du compositeur (qui
devrait être par exemple pour l'œuvre considérée : André Raison/Jean-Sébastien
Bach. Cette occultation (de tradition et non d'intention à notre avis) de l'emprunt
vis-à-vis du public mélomane, n'est pas propre aux oeuvres de Bach. Par
exemple la fameuse Symphonie fantastique de Berlioz s'appuyant pour son
dernier mouvement sur un thème de Tomas de Celeno est présentée sous le seul
nom de Berlioz comme toutes les partitions utilisant le dies irae). Ces
imprécisions et fausses attributions contribuent d'une manière générale à
maintenir le prestige des compositeurs célèbres au détriment des compositeurs
peu connus.
Toujours
selon les experts, le thème principal du premier mouvement du célèbre Concerto
italien fut noté déjà par Haendel 10 ans plus tôt en Italie et serait
donc d'origine italienne. De même encore, l'authenticité des concertos pour
violons demeure très discutée... Ces inauthenticités, suspicions d'inauthenticité,
jointes à de très nombreux emprunts attestés que nous n'énumèrerons pas ici,
jettent un doute considérable sur la valeur globale de l'œuvre de Bach car
elles concernent ses œuvres de musique instrumentale les plus connues, les plus
estimées, qui ont principalement contribué à sa notoriété, notamment la Toccata
et Fugue BWV 565, son oeuvre peut-être la plus connue et la plus transcrite.
Ainsi, le Cantor pourrait avoir acquis en partie une notoriété indue grâce à
des emprunts ou de simples transcriptions ou encore des compositions autonomes
écrites sous son nom*, notoriété qui se serait facilement répercutée sur
ses autres oeuvres, authentiques, par la puissance qu'exerce par lui-même un
nom célèbre de compositeur. De ce point de vue Fauquet et Hennion remarquent
notamment le rôle important joué par l'Ave Maria de Gounod, présenté
initialement par ce compositeur sous le nom de Méditation sur le Premier Prélude
de piano de JS Bach. en 1859.
* ...en faisant connaître le nom de Gounod, il [l'Ave
Maria] a popularisé celui de Bach. p. 165
(Fauquet, Joël-Marie/Hennion, Antoine - La grandeur de Bach L'amour de la
musique en France au 19e siècle - Fayard, Paris, 2000). Seul l'accompagnement
étant une réutilisation du prélude de Bach, il apparaît évident que l'intérêt
musical de l'oeuvre, lié principalement à la mélodie, est imputable à Gounod
et non à Bach.
André
Pirro, déjà, pourtant grand admirateur de Bach, a dû admettre l'importante réutilisation
par le Cantor de matériaux thématiques issus de nombreuses œuvres de ses
contemporains. Il soutient la thèse paradoxale selon laquelle le génie de Bach
aurait transcendé les œuvres de ces compositeurs médiocres en leur insufflant
une profondeur dont le Cantor était naturellement le seul détenteur:
Le
maître y prenait, du reste, un plaisir certain. D’abord le plaisir de rendre
plus parfaite l’œuvre qu’il transformait : dans un excellent article,
M. Schering indique tous les remaniements heureux dus à Bach. Et cette joie de
corriger et d’assouplir, de mieux équilibrer la composition originale...
(L’esthétique de Jean-Sébastien Bach, André Pirro Minkoff reprint Genève,
1973,1ère édition de 1907, p. 408)
Bach
transforme d’ailleurs volontiers les sujets qu’il accepte. Surtout il les
agrandit. Les rameaux fluets qu’il a recueillis, peut-être d’une main
distraite, deviennent, transplantés dans la terre, des arbres merveilleux.
(L’esthétique de Jean-Sébastien Bach, André Pirro Minkoff reprint Genève,
1973, 1ère édition de 1907, p. 429).
Qu'un
grand musicologue présente ainsi une série importante d'emprunts comme une
condescendance d'un esprit supérieur à bien vouloir utiliser les faibles œuvres
élaborées par ses contemporains, permet de prendre toute la mesure du culte
associé au nom de Bach au début du XXème siècle. Certes, les réutilisations
de thèmes provenant d'un compositeur tiers ne sont pas l'apanage de Bach, mais
elles atteignent, nous semble-t-il, chez ce compositeur un point critique. Nous
remarquerons en parallèle qu'il n'existe pas, à notre connaissance, d'emprunt
notoire réalisé par Vivaldi.
La reprise convenue d'airs célèbres dans l'opéra Orlando
furioso selon les mœurs de l'époque ne peut guère être considéré comme
un emprunt.
Le
Cantor pourrait donc s'être plus souvent comporté en compilateur qu'en véritable
créateur. Plus généralement, l'ampleur des problèmes d'authenticité
concernant Bach est telle que le musicologue Carl de Nys pense délicate une
affirmation de jugement sur la partie instrumentale de son oeuvre.
En
attendant de compulser le dossier de cette affaire [celle de la « Fantaisie
chromatique »] et de quelques autres similaires (la fameuse affaire des
concertos notamment, dont les plus prudents n’osent plus affirmer
aujourd’hui qu’ils sont vraiment de Bach), dossiers non encore rendus
publics par l’équipe de la « Neue Bach-Ausgabe », il nous faudra
tracer un portrait prudent du compositeur instrumental. (Histoire de la musique
tome 1 Des origines à Jean-Sébastien Bach Encyclopédie de la Pléiade,
Gallimard, Paris, 1977, p. 196)"
Or,
depuis ces propos de Carl de Nys (édités en 1977), les problèmes d'authenticité
- que nous ne considèrerons pas ici en détail - ont évolué dans un sens défavorable
au compositeur thuringeois. Connaît-on réellement l'ampleur des emprunts,
transcriptions, voire peut-être parfois des manipulations dont l'œuvre de Bach
a pu être l'objet depuis sa redécouverte ?
PROFONDEUR OU SUPERFICIALITÉ
Un
autre facteur, extrêmement puissant, a pu intervenir pour conforter la position
de Bach, c'est le rôle de ses œuvres comme support et expression du culte
religieux. Cet aspect de l'intérêt suscité par la musique du Cantor ne peut
en aucun cas être déconsidéré, mais il apparaît objectivement qu'il est
subordonné à la manifestation d'une pratique cultuelle plutôt qu'il n'atteste
une prédilection purement artistique. Le succès de la musique religieuse de
Bach ne saurait donc à lui seul constituer une preuve de l'intérêt purement
musical de son oeuvre pour le public. Conséquemment de sa vocation religieuse
très marquée, Bach pourrait apparaître comme le compositeur le plus propre à
s'imposer auprès d'un public traditionaliste plutôt allergique à l'expression
des passions ou à la liberté que représente la virtuosité. Ainsi, les œuvres
de Bach ont pu satisfaire un public recherchant l'absence d'expression, l'uniformité.
C'est le point de vue du compositeur et musicologue Alberto Savinio pour lequel
d'ailleurs le succès de la musique ancienne n'est qu'une manifestation
collective de couardise:
Il
y a plus de profondeur, au sens précis du terme, dans le chant solitaire du
skolion de Sekeilos que dans toute l’œuvre colossale de Bach. Et c’est
justement ce manque de profondeur de Bach, son sérieux ingénu, sa manière
“de ne pas constituer de danger”, qui font son charme et constituent l’attraction
qu’il exerce à présent sur la bourgeoisie. (La boîte à musique Ed. Fayard
1989, p. 29)
Aujourd’hui,
la bourgeoisie musicale écoute "l’Art de la fugue" comme elle écoutait
alors la "Traviata". De quoi est-ce le signe ? C’est le signe que
les mélomanes ont eu une indigestion des passions humaines, et qu’ils ont
aujourd’hui besoin de ce repos du cœur, de ce jeu qui dépasse les sentiments,
de cette austère torpeur du cerveau que
donne la musique de Jean-Sébastien Bach
(La boîte à musique Ed. Fayard, 1989, p 32).
Il s'agit naturellement d'une opinion personnelle très
hypothétique du musicologue, à contre-courant de l'opinion générale.
INFLUENCE
DES MÉDIAS
Le
succès – relatif – enregistré par les œuvres de Bach auprès du public
actuel peut, d'autre part, s'expliquer par l'influence des médias agies par les
Intellectuels. Si idéalement la demande crée l'offre dans le marché actuel,
on ne peut ignorer l'importance des facteurs idéologiques susceptibles d'en
inverser la logique. L'importance de Bach par rapport à Vivaldi dans les
ouvrages (parfois de l'ordre de 10 à 1) ne semble pas se refléter dans les
ventes d'enregistrements selon des proportions aussi avantageuses pour le Cantor,
ce qui paraît significatif d'une certaine manipulation de l'opinion musicale.
Vivaldi fut en effet un des compositeurs les plus vendus
dans les années 1960 et son titre Les quatre saisons battit le record
absolu des ventes de musique classique pendant plusieurs années.
On
comprendra l'importance qu'ont pu exercer les médias en considérant les
ouvrages de vulgarisation. Le livre d'Ulrich Michels Guide illustré de la
musique 1990 (Fayard, 1990, ouvrage traduit de l'allemand, titre initial : Atlas
sur Musik) par exemple, qui consacre 9 fois plus de place à Bach qu'à
Vivaldi, est présent dans la plupart des bibliothèques municipales en France.
Il en est de même pour l'ouvrage de J.J. Soleil et J. Lelong, Les œuvres-clés
de la musique, Bordas, 1991), autre ouvrage grand public, qui
conseille au mélomane pas moins de 16 œuvres de Bach contre 2 seulement de
Vivaldi, et qui, d'ailleurs, dans le même esprit, déconsidère la plupart des
œuvres, pourtant célèbres, ne répondant pas au critère d'intellectualité
des auteurs. (notamment le "Concerto" du Grieg, le "Concerto
n°2" de Rachmaninov).
POUVOIRS
DE L'ILLUSION ET AUTOSUGGESTION
Un
autre facteur corrélatif peut être invoqué pour expliquer le succès actuel
de Bach, c'est l'importance de l'illusion dans le jugement musical. Il convient
ici de reconsidérer l'engouement pour Bach au regard de la sociologie,
notamment de la théorie de Durkheim. Selon le célèbre sociologue, lorsque
l'indigène africain se prosterne devant son totem, ce n'est pas essentiellement
en vertu d'une caractéristique appartenant à cet objet, mais c'est parce que
celui-ci devient l'intercesseur d'une manifestation collective visant à unir le
groupe, dont il n'est que le prétexte, la réification. En lui-même, le totem
est neutre et n'a pas de capacité intrinsèque à produire une stimulation émotive.
Cette thèse, dans l'absolu, ruine la réalité de toute valeur liée à une œuvre
artistique, quelle qu'elle soit. Si, pensons-nous, elle ne peut manifestement s'appliquer
à l'ensemble des œuvres musicales (quoique nous n'en ayons aucune preuve), il
est permis de soupçonner que l'élément idéologique au sens où l'entend
Durkheim n'est pas absent dans l'établissement de la notoriété liée à un
compositeur (plutôt qu'à une oeuvre particulière), selon diverses modalités.
Bach, de par le véritable culte dont il apparaît être l'objet, réunit plus
que tout autre, les caractéristiques permettant de lui appliquer la critique
durkheimienne. L'illusion sur l'intérêt de l'œuvre pourrait également procéder,
dans le cas de Bach comme dans celui de nombreux autres compositeurs, d'un phénomène
lié à l'influence qu'exerce un nom connu, une fois le lien de célébrité établi.
Il s'ensuirait le phénomène d'autosuggestion selon lequel des effets musicaux
très banals pourraient engendrer par amplification chez l'auditeur conditionné
de réelles émotions comme des épiphénomènes de la sensibilité cérébrale.
Ces émotions, en intensité, en qualité, ne sauraient naturellement se
comparer aux véritables émotions induites par une oeuvre musicale réellement
géniale. Combien d'admirateurs du Clavecin bien tempéré considèreraient
cette œuvre comme supérieure si elle leur avait été présentée sous le nom
d'un compositeur inconnu ? Et avant que leur authenticité ne fût mise en
doute, les œuvres désattribuées de Bach n'avaient pas parues immédiatement
inférieures aux œuvres authentiques du Cantor, aussi bien pour les spécialistes
que pour le public, ce qui semble bien montrer que Bach n'est pas foncièrement
supérieur à ces compositeurs. Il s'agit là d'une véritable expérience
naturelle en double aveugle comparable à celles réalisées par les
scientifiques dans le domaine médical.
L'argument vaut également pour tous les compositeurs
connus pour lesquels sont réalisées des désattributions, ce qui pourrait
signifier d'une manière plus générale que les compositeurs connus ne sont pas
fondamentalement supérieurs aux inconnus.
On pourrait arguer que les admirateurs des Quatre saisons ou du Concerto n°1 de Tchaïkovski par exemple sont victimes de la même illusion et ne sont pas plus sincères que ceux de l'Art de la fugue, mais les circonstances selon lesquelles ces deux types d'œuvres se sont imposés au public nous semblent significatives d'une différence profonde. Il nous apparaît que Les quatre saisons et le Concerto n°1 ont acquis leur célébrité essentiellement par suite des succès de concert (et auditions d'enregistrements) car les compositeurs concernés (Vivaldi et
Tchaïkovski
en l'occurrence) n'ont jamais bénéficié du soutien de l'ensemble des
institutions intellectuelles et médias. Tchaïkovski particulièrement dut même
acquérir sa célébrité avec le handicap que lui causait la critique
musicographique (critique méprisante contre la virtuosité, le sentimentalisme…),
ce que traduit bien l'ouvrage de Lucien Rebatet:
En
harmonie, il [Tchaïkovski] est presque aussi académique que son ami Saint-Saëns.
[...] Chez nous, il serait utile de situer Tchaïkovski à l’intention du
public populaire qui s’en délecte, de faire saisir à ce public toute la
distance entre le talent du Russe, conservateur sentimental, et les premières
symphonies de Mahler [...], sans chercher encore plus haut des points de
comparaison. C’est pour contribuer à cette mise au point que nous avons
accordé à Piotr Illich un peu de place qu’il n’y aurait droit
historiquement." Rebatet,
Lucien, Une histoire de la musique, Laffont, Paris, 1969 - p 460. Et à
propos du "Concerto-Fantaisie", puis des mélodies : bavardage et
cavalcade dans le vide, d'une malfaçon presque indécente; sauf 3 ou 4, une
centaine de mélodies où son mauvais goût littéraire et sa sensiblerie
musicale font le plus fade ménage p. 460.
L'ouvrage de Lucien Rebatet a été réédité en France (Laffont,
Paris, 1999) 30 ans après sa première publication, il existe également une édition
en espagnol (Una historia de la musica, Omega, 1977), ce qui montre l'importance
du courant de pensée que véhicule cet ouvrage.
Alors que les auteurs d'ouvrages officiels ont tendance à réserver leur
jugement, les auteurs indépendants comme Lucien Rebatet, qui ne sont intégrés
dans aucune structure universitaire, n'hésitent pas à exprimer des jugements
de valeur plus soutenus. De ce point de vue, l'ouvrage de Lucien Rebatet, sans
aucune valeur musicologique, nous semble au contraire d'une grande signification
sur le plan sociologique en révélant ouvertement l'idéologie dominante de la
société musicale de son temps. C'est sans doute l'ouvrage le plus emblématique
qui représente le mieux ce qu'on pourrait nommer l'idéal du mélomane supérieur
au 20e siècle.
NUMÉROLOGIE
ET MUSIQUE
Une
caractéristique importante des oeuvres de Bach, comme en grande partie des
oeuvres polyphoniques jusqu'au XVIIème siècle, est l'observation de règles de
composition complexes, sinon abstruses, voire même l'établissement de rapports
d'ordre cabalistique ou ésotérique dont la signification réellement musicale
semble pour le moins douteuse. Le contraste avec la nature purement lyrique des
œuvres de Vivaldi, ne visant manifestement qu'à créer des effets musicaux,
apparaît ici saisissant. Le musicologue Charles Rosen écrit à propos de l'Art
de la fugue que cette dernière œuvre était destiné à être étudiée en
la jouant. En quelque sorte, il s'agirait d'une partition pour les yeux et non
pour l’oreille. L’importance et la fonction réelle de codes secrets,
symboles relevant de l'herméneutique dans les oeuvres d'art a été maintes
fois dénoncée. On peut supposer en effet que cet ordre conceptuel gratuit
n'est pas perçu intuitivement, et qu'il est donc inefficient sur le plan de la
sensibilité artistique. Ce type de critique contribue encore à fragiliser la
crédibilité musicale du Cantor. Tous les efforts qui ont été déployés pour
montrer la profondeur de Bach par l'existence de rapports d'ordre numérologique
pourraient au contraire ne dévoiler que sa superficialité.
Ainsi,
Bach, au terme de cette analyse, apparaît-il contesté par les éléments
provenant du double courant de la musicologie moderne et de la sociologie.
LA
MODERNITÉ DE BACH ?
Il
est symptomatique de constater les efforts considérables des auteurs afin de présenter
Bach comme un compositeur moderne, novateur, et asseoir ainsi sa supériorité,
discours infirmé par les analyses de la musicologie moderne. Curieusement, les
auteurs persistent à affirmer la modernité de Bach en des termes idéalistes
très généraux et reconnaissent objectivement son passéisme dès qu'ils
passent à l'examen purement analytique de son oeuvre.
Généralement, ce sont les mêmes auteurs qui encensent
Bach et fournissent des arguments objectifs contre l'encensement même qu'ils
prodiguent. Ces arguments - sur lesquels se fonde principalement notre article -
peuvent être en conséquence disculpés de toute partialité contre Bach.
Roland
de Candé reconnaît que l’on s’est plu à reconnaître en J.S. Bach un
novateur alors qu'il est essentiellement un homme du passé, tourné vers l’écriture
polyphonique et le choral, ce qui n'empêche pas ce musicologue lui-même de
considérer Bach comme un pionnier sur le plan théorique supérieur, devenant
ainsi le sujet de sa propre critique.
On s'est plu à peindre Bach comme un musicien révolutionnaire
: c'est méconnaître la véritable vocation de son génie. Bach se méfie des
formes nouvelles... Candé, Roland de, Nouveau
dictionnaire de musique, 1986, Seuil - p. 45)."
La
plus grande confusion règne souvent dans les commentaires au sujet de Bach en
raison de l'impossibilité de concilier les nécessités de l'idéologie avec la
réalité musicologique.
Ce conflit entre l'idéologie
et l'analyse objective apparaît dès le 19e siècle. Fétis, et d'autres
auteurs, remarquent des incorrections dans l'écriture contrapuntique de Bach,
mais ces défauts constatés n'entament nullement le dogme obligé de la
perfection bachienne.
La distorsion entre la réalité historique et l’idéologie apparaît très
tôt au début du 19e siècle, par exemple dans la célèbre Histoire
de la musique de J. Combarieu.
La notice de Combarieu dans son histoire de la musique (Combarieu, J. - Histoire de la musique des origines à la mort de Beethoven Tome II du 18e siècle à la mort de Beethoven - Librairie Armand Colin, Paris, 1913) constitue à notre sens un cas particulièrement saisissant d'incohérence du discours induit par d'incessantes contradictions, conséquence à notre avis de la nécessité pour l'auteur d'entériner l'apologie de Bach en même temps que d'affirmer objectivement les données de faits qui lui sont contraires. Après avoir évoqué le génie prodigieux de Bach (p. 281), Combarieu affirme : La situation et l'état d'esprit de Bach sont ceux du parfait fonctionnaire (p. 284) et dans la page suivante il écrit: Fait important, si l'on songe que la musique a été définie comme création de l'amour et que Bach passe, à juste titre, pour être le plus grand des musiciens (p. 285). Ce préambule élogieux est suivi d’un long portrait sans complaisance, peu flatteur, de l'homme pratique, discipliné, aimant la régularité en tout comme ferait une bonne femme de ménage, en alléguant le mot de Westphal. Combarieu poursuit en considérant aussi bien l’homme que son œuvre. Il insiste sur l'absence de profondeur de la foi de Bach, son indifférence totale à ce qui touche à l'expression artistique, son détachement... Il est religieux comme il est bon époux. Il croit sans mysticisme, sans fanatisme, sans ardeur intérieure. Sa foi est aussi tranquille et a aussi peu de dessous profonds que celle du charbonnier ( p. 286). Un trait montre combien il est tranquille et presque détaché. Il ne se fait pas scrupule d'utiliser dans une cantate sacrée (par exemple celle de la Pentecôte) 1731 Also Hat Gott die Welt geliebt), un air déjà employé dans une cantate de chasse qui est elle-même une musique de table (même observation sur la cantate pour le second jour de la Pentecôte, où Dieu prend la place du prince Léopold.) (p. 286). Sur la couverture d 'une de ses cantates profanes (utilisée pour le mardi de Paques), Bach inscrit ses compte de ménage. (p. 286). A-t-il un idéal personnel qu'il s'efforce d'atteindre, une idée qui l'obsède et le possède? On ne voit rien qui permette de le penser. A-t-il une grande ambition, un fier sentiment de ce qu'il est? pas davantage (p. 287). …au moment où on arrive au crucifiement de Jésus [dans la Passion selon Saint Jean], on ne voit dans l’orchestre rien qui avertisse que nous sommes au sommet du pathétique. […] Aucun frémissement intérieur, presque pas d’émotion apparente (p. 288). Dans la vie de Bach, pas d'horizon! pas d'aventures! pas d'orages de sentiment! Dans sa foi, nulle ardeur mystique! nul sentimentalisme, nul goût de l'au-delà, nul souci de traduire la personnalité réelle du musicien ou d'atteindre à un idéal nouveau, nul tourment de la beauté (p. 290). Il va, il va sans cesse, sans raffiner, sans fignoler, conduit par un dieu invisible. A la fin de ses récitatifs, il place 2 accords, un de dominante, un de tonique comme on mettrait un point à la fin d'une phrase - et il passe au numéro suivant (p. 290). Et sur l’Art de la Fugue : C’est de la musique pour l’œil, non pour l’oreille […] Considérée autrement que comme travail scolastique, ce serait une œuvre de pédantisme embroussaillée, décourageant la sympathie, sans humanité (p. 294). Puis l’éloge reprend : ...avec sa science sûre, ramenée à une sorte d'infaillible instinct, il y verse la pure substance d'une pensée sublime et d'un pathétique magnifique (p. 295). Enfin, suit un long passage où Combarieu dénigre les compositeurs que Bach transcrit ou dont il s'inspira, notamment Vivaldi avec un mépris à peine concevable: Il s'ouvrit - avec quelle
indulgence! à l'art
italien, aux oeuvres de Vivaldi, de Legrenzi, de Corelli, d'Albinoni, de
Grescobaldi (p. 173). Si les compositions de Vivaldi, jadis
si estimées ne sont pas tombées dans l'oubli, c'est grâce à JS Bach, qui en
a transcrit 16 pour clavier […] On comprend peu, d'ailleurs, ce qui put l'attirer
vers ces oeuvres si pauvres, si éloignées de ses habitudes d'esprit, où les 4
violons sonnent ordinairement à l'unisson ou en tierces doublées, sans indépendance
(p. 174) On se demande comment un tel génie eut la patience ou la
simplicité de s'abaisser soit à de telles besognes, soit à de telles
compositions [à propos des copies de Bach d'oeuvres italiennes de l'époque].
(p 174). Quelques-unes des plus évidentes contradictions de ce discours
peuvent être relevées - parmi d'autres. Combarieu affirme: Il paraît
indifférent aux effets descriptifs ou expressifs qu'on lui a prêtés (ainsi
dans la cantate de 1725, il substitue, en 1734, au texte primitif, des paroles
qui n'ont plus de rapport avec la musique). (p 287) alors qu'il avait écrit
quelques pages auparavant: "Comment se fait-il qu'un tel art [celui
de Bach] soit si expressif et pourtant formel? (p 281). Par ailleurs, l’affirmation
de l’expressivité de Bach comme dogme, manœuvre à notre sens purement
dialectique, sans qu’on se soucie de la trouver objectivement dans ses œuvres,
paraît ici bien mis en lumière, involontairement, par Combarieu. Il semble que,
très rapidement, l’on ait compris que l’absence d’expressivité chez Bach
pouvait constituer pour sa reconnaissance et sa notoriété un handicap majeur.
Plus loin, Combarieu fait l'éloge du contrepoint délicieux, évoque à
propos d'un trio la caresse légère de ce vent du sud... alors que
quelques lignes auparavant, il avait écrit: Ce n'est ni un peintre en quête
de pittoresque, ni un rêveur... on ne trouve pas davantage, dans l'oeuvre de
bach, le sentiment de la nature tel que l'a éprouvé l'auteur de la "Symphonie
Pastorale".
L'apologie de Combarieu
nous semble un placage obligé sur une analyse objective. On ne saurait au
premier abord accuser cet historiographe de partialité dans son discours dépréciant,
lui qui déclare ouvertement considérer Bach comme le plus grand compositeur,
aussi ses propos détracteurs, s'appuyant souvent sur des faits précis, sont
certainement l'expression de son objectivité. On peut cependant se demander si
le portrait de l’homme ne constitue pas ici un charge qu’il conviendrait de
nuancer. Le discours de Combarieu s’appuie sur une comparaison entre Bach et
Beethoven, décrivant ainsi des caractéristiques communes aux compositeurs du
18e siècle par rapport à ceux du 19e siècle. Une telle
évocation (sans doute outrancière) d'un Bach à la vie réglée, sans
aspiration, sans fierté, se trouve en contradiction avec la quatrième de
couverture du Bach de Candé (Jean-Sébastien Bach - Seuil, Paris, 1984)
nous présentant le compositeur comme une personnalité affirmée, originale,
fougueuse, presque un compositeur romantique. Pourquoi conserver de lui, figée dans la gloire, l'image
du vieux Cantor, sévère et pompeux? […]…tendre et coléreux, exigeant et généreux,
patient et combatif, acharné dans ses entreprises, passionné, sensuel.[…] Sait-on qu'il a tiré l'épée
contre un étudiant d'Arnstadt, fait 400 km à pied pour entendre Buxtehude,
qu'il a été emprisonné à Weimar, fêté à Dresde, humilié à Leipzig, reçu
comme un souverain par Frédéric II, opéré de la cataracte par un très
fameux chirurgien anglais? Cette conception tend visiblement à gommer le
portrait traditionnel sous lequel est présenté le Cantor. Mais ces quelques
faits sont-ils significatifs de la personnalité de l’Homme et surtout de son
œuvre ? En dernier lieu, le rapprochement que l’on peut établir entre
le titre donné par Albert Schweitzer à son ouvrage (J. S. Bach: le musicien-poète,
Breitkopf & Härtel, 1905) avec le jugement de Combarieu : Il
y a rarement dans sa musique ce que l’auditeur moyen appelle la poésie (p 287), peut,
pour le moins, étonner.
Les
mêmes contradictions apparaissent de la part de P. Druilhe dans son ouvrage pédagogique
Histoire de la musique (1957), ouvrage sans prétention musicologique,
mais justement bien significatif de la manière dont Bach est considéré dans
l'ensemble de la société musicale :
Si
le musicien, qui écrit surtout pour l'église et les cours princières, n'innove
guère, il donne cependant à chaque forme une perfection et une ampleur jamais
atteintes avant lui. Par sa profondeur, sa maîtrise, son lyrisme intérieur,
l'art de J.S. Bach, en avance sur celui de son temps, prépare toute la musique
moderne, et en constitue l'assise la plus inébranlable. (Druilhe, Paule -
Histoire de la musique - Librairie Hachette, Paris, 1957, p 74).
La notice consacrée à Bach par le Dictionnaire de la
musique (Albin Michel, Paris, 1998) nous paraît, de ce point de vue, très
caractéristique du malaise grandissant qui s'installe, pensons-nous, à propos
de Bach chez les musicographes aujourd'hui et les oblige à déployer des
acrobaties dialectiques à notre avis très discutables afin de maintenir le
dogme de la grandeur de Bach.
La
notice de G. von Dadelsen dans le Dictionnaire de la musique de Honneger (1995)
traduit les mêmes contradictions, en des propos pour le moins surprenants :
Dans
une certaine mesure, l'œuvre de Bach n'est pas à sa place à son époque. Il
se sert des formes traditionnelles sans être tourné vers le passé et met en
oeuvre des éléments de style et des techniques d'écriture modernes sans faire
figure de novateur lui-même et sans participer à l'élaboration du style
galant et sensible. (Dictionnaire
usuel de la musique Honneger, Bordas, Paris, 1995)
D'une manière générale,
les biographies se présentent souvent comme l'empilement de différentes
strates accumulées au cours de l'historiographie musicale, strates dont les éléments
peuvent se contredire, sans que cela gêne manifestement les auteurs.
La
notice Histoire de la musique du Dictionnaire encyclopédique Quillet
ne craint pas de présenter, en des termes paradoxaux, Bach comme le novateur
qui a bouleversé une musique établie depuis plusieurs siècles:
Arrivé
en quelque sorte au moment voulu, héritier de toutes les acquisitions du passé
et en même temps tourné vers l'avenir, il a, avec génie, utilisé toutes les
ressources de la polyphonie et les a agencées en harmoniste déjà totalement
moderne. (Dictionnaire
encyclopédique Quillet - Librairie Aristide Quillet, Paris, 1969 -p. 4461)
Et
la notice Bach de ce même ouvrage affirme tout simplement:
Avec
Händel, Saxon comme lui, Bach est le fondateur de toute la musique dite
moderne. (Dictionnaire
encyclopédique Quillet - Librairie Aristide Quillet, Paris, 1969 -p. 552)
Il
est également apparu, sur le plan de l'analyse musicologique, que les audaces
harmoniques prêtées à Bach n'étaient souvent qu'une erreur d'interprétation
née de la confusion entre l'écriture horizontale et l'écriture verticale,
fait reconnu par ceux-là même qui érigent Bach en compositeur supérieur.
Les
critères de l'harmonie ne permettent pas de rendre compte de ce que les
commentateurs appellent ses "audaces harmoniques", faisant de lui le
précurseur des révolutions musicales modernes
(Candé, Roland de - Jean-Sébastien Bach - Seuil, Paris, 1984 – p. 294)
Il
apparaît plutôt que ces nouveautés doivent être attribuées à Scarlatti ou
Vivaldi. Frédéric Platzer dans son Abrégé de musique reconnaît que
le langage harmonique de Vivaldi, d'une grande richesse, est resté inchangé
jusqu'à Schumann:
La
très riche et parfois curieuse harmonie vivaldienne y est présente, avec l'alternance
de passages très stables tonalement et d'autres construits sur des chromatismes
émaillés d'accords de tritons ou de septièmes diminuées enchaînées, tels
qu'au plus tôt les romantiques (un siècle plus tard) les utiliseront. (Platzer,
Frédéric Agrégé de l'Université- Abrégé de musique - Ellipses, Paris,
1999 – p. 213
La
modernité prétendue de Bach, les hardiesses qu'on lui attribue apparaissent également
peu compatibles avec l'image de l'homme que nous donne sa biographie (selon ses
biographes), celle d'un compositeur laborieux, religieux, traditionaliste, ne
recherchant pas l'originalité: image qui correspond d'ailleurs si peu à celle
d'un artiste et s'oppose à celle, haute en couleur, de Vivaldi.
Parallèlement,
afin de s'opposer à la critique de froideur qui pouvait être invoquée légitimement
à propos de partitions obéissant à des contraintes d'ordre intellectuel et
surtout pour faire apparaître Bach en avance sur son temps, les musicographes
ont tenté de montrer qu'il était, malgré son formalisme, un romantique,
qu'une chaleur particulière émanait de son contrepoint. Cette tendance rendait
Bach conforme à la nouvelle conception de la musique considérée au 19e siècle
comme supérieure: susciter une émotion profonde, toucher l'âme et non pas
représenter un ordre conceptuel perçu par l'intelligence ou encore un plaisir
sensuel superficiel, anciennes conceptions déclassées.
C'est pendant la seconde moitié du 18e siècle avec Coquéo,
Chastellux, Estève... que s'est imposée, contre les partisans de la conception
gothique (La Harpe, Marmontel, d'Alembert) une conception de la musique
comme expression de l'émotion, inaccessible à l'esprit, selon l'analyse de
Belinda Cannone. On attend de la musique qu'elle sollicite avant tout l'émotion
et l'on s'est débarrassé de l'esprit p. 124 (Cannone, Belinda -
Philosophies de la musique (1752-1780) - Aux amateurs du Livre, Paris, 1990).
Eugène
Vuillermoz soutient cette conception de Bach dans son Histoire de la musique
(1973) :
Nous
ne parlerons pas de la poignante émotion qui se dégage de ses passions, de sa
Messe ou de ses motets, mais de cette palpitation secrète que l’on perçoit
dans ses oeuvres de musique pure, de cette tiédeur humaine qui réchauffe ses
préludes et ses fugues. (Histoire de la Musique, Fayard, 1973, p. 140)
Dans
L’esthétique de Jean-Sébastien Bach (1907), A. Pirro veut absolument
nous démontrer que Bach était un romantique passionné, raison pour laquelle
il fut incompris de ses contemporains :
L’audace
excessive et la vigueur multiple de ses motifs déchaînés, donnaient à ses pièces
quelque chose d’outré et d’ampoulé qui paraissait intolérable.
(Pirro, André - L'esthétique de Jean-Sébastien Bach, Genève : Minkoff
1973, 1ère édition 1907, p. 505)
Interprétation
bien curieuse du musicologue quand on sait que Bach, de son vivant, si l'on en
croit les biographes eux-mêmes du compositeur, passait quasi unanimement pour
une vieille perruque, un rétrograde à la personnalité musicale peu
saillante.
Bach était un rétrograde, bon professeur de contrepoint
et excellent exécutant au plus... (Chailley, Jacques, Les
Passions de Jean-Sébastien Bach, PUF, Paris, 1963.)
André
Pirro poursuit à propos du Clavecin bien tempéré:
Bach
écrit une musique tumultueuse et sombre qui parle de tempêtes et de désespoir.
(Pirro, André - L'esthétique de Jean-Sébastien Bach, Genève : Minkoff 1973,
1ère édition 1907, p. 390)
Et,
en guise de conclusion de son ouvrage, il affirme :
Ils
[les lecteurs] reconnaîtront alors, sous l’habit sévère du Cantor, le maître
expressif, le précurseur farouche et véhément de Beethoven et de Richard
Wagner. (Pirro, André - L'esthétique de Jean-Sébastien Bach, Genève :
Minkoff 1973, 1ère édition 1907, p. 508)
Cependant,
le caractère conventionnel, à notre avis, du langage de Bach, que Pirro considère
comme les prémisses du romantisme, sinon le romantisme lui-même, n'a pas échappé
à certains auteurs, notamment Joseph Samson dans Monde et vie intérieure
(1951).
Des
formules mélodiques ou rythmiques sont arrêtés par Bach pour traduire la joie,
la colère, la douleur, la mélancolie... il s’est forgé un lexique auquel
toute sa vie il recourt: lexique conventionnel. langage tout hermétique, qui ne
sera élucidé que grâce à une exégèse extra-musicale. (Samson, Joseph,
Monde et vie intérieure, Éditions du vieux colombier, Paris 1951, p 126).
Et
le rédacteur du Dictionnaire Encyclopédique Quillet (Librairie Aristide
Quillet, Paris, 1969) n’avoue-t-il pas involontairement l’intervention des
Intellectuels dans la reconnaissance du caractère expressif dans l’œuvre de
Bach ?
Il a fallu longtemps, près de cent ans après sa mort pour
qu'on se convainquît que Bach est un musicien expressif, lyrique. (notice
Bach, p 553)
Le
discours n'a guère varié dans sa teneur jusqu'à nos jours. A propos de l'Art
de la Fugue, Marc Vignal écrit dans un ouvrage paru en 2001:
Cette
partition didactique d'une écriture transcendante, n'est pas moins d'une grande
beauté expressive (Dictionnaire de la musique – Larousse, 2001 – sous la
direction de Marc Vignal 900 p. 1 volume - p. 43 notice Bach)
Contre
les évidences musicologiques les plus élémentaires et afin d'asseoir le titre
de Père de la musique du Cantor, certains ouvrages de vulgarisation
continuent d'affirmer l'importance de Bach dans l'établissement de la musique
tonale. Ainsi, dans The
New Encyclopaedia Britannica (Chicago, dernier copyright 1992):
In
the works of both Handel and Bach changes in technique reached a culmination
with clear establishment of the tonal system, allowing for modulation from one
key to another, primarily as a device for formal organisation
(vol 24, p. 559)
La relative prudence de certains musicologues à dénoncer au 20e siècle
les outrances manifestes du culte Bach a pu s'expliquer par le poids naturel de
toute tradition, mais aussi, pensons-nous par un certain terrorisme de la pensée
lié généralement aux manifestation de l'esprit religieux ou idéologique.
On
a également tenté, plus récemment, nous semble-t-il, de modifier la
perception du compositeur lui-même. Les intellectuels religieux actuels, depuis
quelques décennies, afin de répondre aux critiques de misérabilisme et de
masochisme qui étaient adressées à l'encontre du judéo-christianisme se sont
efforcés de revaloriser la joie et à montrer l'importance de cette idée
dans le message évangélique, sinon biblique. Bach ne devait pas échapper à
ce nécessaire révisionnisme idéologique. Certains critiques louent maintenant
la jubilation qui, selon eux, s'exprime dans les œuvres du Cantor, de sorte que
lui, le luthérien austère, est jugé paradoxalement plus jovial que Vivaldi,
le Vénitien profane.
La
musique de Jean-Sébastien Bach est celle de l'ineffable, c'est aussi celle de
la joie (Dowley, Tim - Les grands compositeurs - Paris, Grund, 1990 - Adaptation
française de M. J. Lamorlette, Editon originale : The Hamlyn Publishing ltd,
1990)
Certains,
même, en dépit d'une réalité historique rebelle, veulent imposer une Neue
Bach Bild, niant l'importance de la vocation religieuse dans la musique du
Cantor. Un tel retournement de position par rapport à la philosophie esthétique
exprimée par Forkel deux siècles plus tôt peut surprendre.
Sur
un autre plan, la conception qu'avait Bach de son activité musicale semble s'inscrire
dans la tradition de la musique polyphonique de la Renaissance, pour laquelle la
musique n'affirme pas véritablement d'intention artistique. Il s'agirait de la
pure exploitation de l'existence d'une technique liée au son, aux instruments,
à la théorie musicale… susceptibles d'entraîner un enseignement, une
activité. Ses biographes modernes soulignent que Bach, l'artisan, considère la
musique comme une technique plutôt qu'un art qui vaut essentiellement par sa
pratique. Ses œuvres ont plus souvent un rôle et une motivation didactique
qu'artistique, rôle pratique rejoignant d'une certaine manière le rôle
religieux. C'est ce qu'ont montré les travaux musicologiques récents sur Bach
dont Ulrich Michels nous rappelle ainsi la teneur.
Bach
ne considère pas son travail de création en romantique, comme une oeuvre de génie,
mais comme un art artisanal, qui demande application, efforts, qui permet à la
fois d’apprendre et d’enseigner, le tout dans l’univers de Dieu. Ses
musiques profanes et spirituelles ne sont pas contradictoires, mais reposent sur
le même fondement.( Guide illustré de la musique 1990 Michels, Ulrich,, Guide
illustré de la Musique, Fayard, 1990, p. 363, ouvrage traduit de l'allemand,
titre initial : "Atlas sur Musik)
DÉTOURNEMENT
Au
XIXème siècle, puis au XXème siècle, il semble que Bach soit devenu le point
de cristallisation d'une philosophie anti-hédoniste selon laquelle le plaisir
musical est déconsidéré au profit d'une profondeur musicale (réelle
ou prétendue ?), ressort de l'intellect plutôt que de la sensibilité.
Après la reconnaissance de l'art comme expression de l'âme inaccessible à
l'esprit à la fin du 18e siècle, il semble que les forces représentant l'intellect
dans la société imposent souterrainement, avec Bach notamment et la
condamnation des virtuoses-compositeurs, la restauration de la prééminence de
l'esprit sur l'âme. Cette prédominance sera parachevée ouvertement par la
reconnaissance accordée un siècle plus tard à la musique atonale, s'appuyant
généralement sur des théories abstraites affranchies du sentiment et de l'émotion.
Nous retrouvons, nous semble-t-il, la succession opposition-détournement qui
signe le fonctionnement de l'esprit. Les philosophes ainsi s'opposeraient (réagiraient)
à l'émancipation de la sphère affective qui dépasse leur domaine de compréhension
et de compétence. Cependant, masquant la réalité intellectuelle de la musique
de Bach, ils tentent au contraire de montrer que sur le plan de l'émotion ses
oeuvres sont supérieures à celles des compositeurs typiquement orientées vers
le lyrisme ou l'expression d'une émotion. Ils détournent donc le prestige
attaché à la conception de la musique comme expression de l'âme. En témoigne
cette citation de Denis Arnold :
Bach
se différentie de Vivaldi surtout dans ses concertos pour clavecin où l'instrument
favorise un contrepoint plus complexe et un lyrisme moins pur. Bien que
plusieurs soient des arrangements d'œuvres pour violon ou hautbois, les
possibilités harmoniques du clavecin permettent un contraste total avec les
tutti et augmentent la gamme des émotions au-delà des modèles italiens (Université
d'Oxford -Dictionnaire encyclopédique de la musique - Robert Laffont, 1988 -
notice Concerto, p. 482)
De
même, dans cette citation de l'Encyclopédia universalis :
Quoi
qu'il [Bach] ait entrepris, il n'échouera en rien et, hormis certaines pages de
jeunesse, un peu irrégulières, il porta son art à un point de maturité et d'équilibre
sans équivalent. De surcroît, toute son oeuvre est préservée comme par
miracle, de toute scolastique (Encyclopédia universalis Dictionnaire de la
musique Les compositeurs - Albin Michel 1998 - p 35)
Le point ultime de cette manœuvre dialectique se trouve atteint lorsque les musicographes accusent les compositeurs les plus lyriques des caractéristiques plus logiquement dévolues à leurs protégés. Ainsi, par exemple, Saint-Saëns, pianiste-compositeur amateur de virtuosité, d'exotisme, auteur de nombreux concertos (à structure souvent hétérodoxe) et poèmes symphoniques - est considéré comme un compositeur académique, maniaque de la froide perfection formelle, alors que Bach tourné vers l'écriture polyphonique, auteur essentiellement de chorals et fugues, est considéré comme un compositeur chaleureux dont les oeuvres véhiculent une émotion intense. De même, on n'hésitera
pas
à accuser le pur émotif Tchaïkovski d'académisme. De plus, le sérieux, l'austérité
attachés à Bach permettait facilement de lui prêter des qualités de
profondeur et d'accuser de superficialité les compositeurs de tempérament plus
lyrique comme Vivaldi. C'est ainsi que Bernard Robert remarque :
Il
[Vivaldi] a pu encourir le mépris condescendant des musicologues qui, sans trop
le publier, le tenaient pour un amateur, et pour des raisons très proches de ce
qui a valu un même mépris à Stendhal, Dostoïevski, à Moussorgski ou à
Gauguin p 270 (Bernard, Robert - Histoire de la musique Nathan, Paris, 1974)
Et
Marcel Marnat nous dit du Prete Rosso qu'il est totalement dépourvu de ce
rien de lourdeur qui établit le génie plus sûrement que n'importe quelle
autre qualité. (Marnat, Marcel - Vivaldi - Seghers, Paris, 1965 )
Cette tentative de détournement de l'Art par les philosophes n'est pas
nouvelle. Nous rejoignons, nous semble-t-il, la réaction anti-musicale qui,
s'est développée notamment en France de la part des lettrés au XVIIème siècle
et jusqu'au XVIIIe siècle à l'égard de la musique instrumentale.
Cette réaction se trouve
analysée notamment par Belinda Cannone, citant l'abée Noël-A. Pluche (Spectacle
de la nature - 1746 ) qui reproche à la musique de plaire sans instruire
: Ce qu'il appelle à plusieurs reprises "pervertir le vrai usage des
sons" lui fait l'effet d'une injure à la raison : comment peut-on prétendre
"contenter l'homme par une longue suite de sons destitués de sens?"
(Cannone, Belinda - Philosophies de la musique (1752-1780) - Aux amateurs du
Livre, Paris, 1990 - p.25.
La musique ne conquerra que lentement sa position d'art respecté qui est le
sien aujourd'hui après avoir été considérée comme une occupation
superficielle indigne d'un esprit cultivé. Ne pouvant plus la contester après
qu'elle se fut imposée, tout se passe comme si ses opposants avaient pris le
parti de se l'approprier pour la dénaturer, favoriser les compositeurs qui
paraissaient les plus intellectuels et déconsidérer ceux qui sont élus
par le public. C'est la phase de détournement. Ainsi, selon notre thèse, les
philosophes, et avec eux les critiques, les sociétés de concert, toute l'intelligentsia
traditionaliste, vont unir leurs efforts pour nier l'œuvre des véritables génies
de la musique et imposer les compositeurs qui sont à la convenance de leur idéologie.
En d'autres termes, il y aurait eu détournement de l'Art par les Intellectuels,
phénomène dont le culte Bach ne serait qu'une manifestation particulièrement
spectaculaire. Cette substitution des véritables oeuvres d'art par de fausses
oeuvres dénuées de contenu artistique (selon notre théorie) ne serait que
l'évolution normale d'un domaine artistique vers la sclérose pendant la période
de décadence où cet art dénaturé, au stade ultime de son évolution, ne
subsiste plus que sous la forme d'une exploitation économique parasitaire. Le développement
artificiel de la musique atonale pendant la seconde moitié du 20e siècle en
serait l'illustration.
Nous
remarquerons que parallèlement à l'émergence de Bach s'amorce la déconsidération
des virtuoses-compositeurs du XIXème siècle (dont l'école violonistique des
XVIIème et XVIIIème siècle était la préfiguration avec Biber, Westhof, puis
Tartini, Vivaldi, Locatelli, Jarnovik, Viotti...) couverts de mépris par ceux-là
même qui à propos du Cantor se répandaient en superlatifs grandiloquents.
Ainsi sont présentés les virtuoses-compositeurs dans le
Feuillet musical: Sous prétexte de variations, ils [les virtuoses] ont déshonoré
une forme vénérable qu'un Bach ou qu'un Beethoven avaient estampillée de leur
génie.[...] Il se complaît [le concerto] dans un étalage de formules dont la
profuse vanité camoufle l'indigente pensée et l'absence de poésie.... (Le
feuillet musical à l'usage de l'amateur de concert, fascicule VIII, sous la
direction de Roger Bragard - Editions Dereune, Bruxelles, Bragard
- p. 2). Et ce jugement de Picolli: Pour mettre un comble à la dérision,
ces productions, singeant le drame lyrique décadent, se gonflent volontiers
d’un pathos prétentieux, invitant le violoniste à prendre des allures
avantageuses de fort ténor. (Piccoli, Georges, Trois siècles de l'histoire du
violon - Delrieu, Nice, 1954 - p. 97-98)".
Eckhardt van den Hoogen dénonce la manipulation de l'histoire
dont, selon lui, les virtuoses-compositeurs furent victimes :
…ces
artistes qui avaient été relégués par les experts dans la rubrique "superflu"
dans l'espoir qu'ils y resteraient "pour toujours" et qu'ils ne
mettraient pas en péril, en la démasquant, l'altération de l'histoire
atteinte au prix de tant d'efforts.
(Eduard KünnekeKoch
international GmbH, 1997, p.15)
On
remarquera également qu'au XXe siècle, les plus grands succès de musique
classique ont été obtenus par des compositeurs superbement ignorés par les
ouvrages musicographiques (par exemple Carl Orf avec Carmina burana,
Rodrigo avec le Concerto de Aranjuez) alors que leurs protégés (Boulez,
Varèse, Schönberg...), bénéficiant de notices considérables dans les
ouvrages, n'ont jamais eu la capacité d'engendrer la moindre composition qui
retienne l'attention du public.
L'Histoire de la Musique de Larousse, 2000 (ouvrage au contenu identique à l'Histoire de la musique - Bordas,
collection Marc Honegger, 1982) consacre 113 lignes à Boulez
contre 0 à Rodrigo et 0 à Orf. On rappellera que l'ouvrage consacre 80 lignes
à Vivaldi soit un rapport de 1,4 à l'avantage de Boulez par rapport à
Vivaldi.
C'est
toute la crédibilité des méthodes de l'historiographie musicale qui est ici
en cause. L'énorme appareil d'exégèse, de critique et d'analyse accumulé par
les érudits sur l'oeuvre d'un compositeur comme une sorte de cancer parasite de
l'activité intellectuelle, à notre sens, ne saurait jamais prouver sa valeur,
ni même son intérêt proprement musical pour le public mélomane, et ne
saurait en conséquence témoigner de sa réelle importance historique en tant
qu'œuvre d'art.
INVENTIVITÉ
DE LA JEUNESSE, SCLÉROSE DE LA VIEILLESSE
Dans
le sillage de cette interprétation philosophique générale, et pour revenir à
Bach, nous devons ajouter l'hypothèse d'une interprétation s'appuyant sur la
psychologie individuelle du compositeur au long de sa vie. Le combat entre l'intellect
et l'intuition, entre la raison et l'émotion, que nous avons tenté de montrer
au niveau de la société musicale, semble-t-il, n'épargne pas le compositeur
lui-même, Bach en l'occurrence, mais aussi de nombreux musiciens. Liszt, pur
artiste et intuitif, n'a-t-il pas remis en cause vers la fin de sa vie sa
conception musicale établie largement sur le développement de la virtuosité
au profit d'une pensée de plus en plus mystique et austère, s'éloignant de l'écriture
lyrique qui était la sienne au départ ? Selon la même évolution
mentale, Falla, Scriabine, Albeniz, Stravinsky… se seraient enfermés aussi
dans une pensée de plus en plus réductrice, idéaliste ou formaliste, niant le
bouillonnement créateur qui avait caractérisé leur jeunesse. La seule
particularité de Bach serait de s'être très tôt desséché après une période
d'ouverture initiale. Les compositions les plus libres, les plus virtuoses de
Bach ont en effet été composées (si elle sont authentiques), semble-t-il,
principalement pendant la première période de sa vie (période de Weimar)
alors que ses compositions les plus formalistes datent de la dernière partie de
sa vie.
De
nombreux musicographes interprètent généralement ce type d'évolution comme
un approfondissement de la pensée en condamnant les œuvres de jeunesse comme
autant d'errements. Cette attitude pourrait être un autre détournement
permettant de nier la musique en tant qu'art, de disqualifier les véritables
oeuvres. On peut ici relativiser ce jugement sévère sur Bach en considérant
que le nombre d'œuvres véritablement géniales écrites par un grand
compositeur ne représente peut-être souvent, pensons-nous, qu'un petit
nombre et une petite partie de sa production.
Au
terme de cet article, nous devons préciser que tous les phénomènes d'ordre
sociologique que nous avons tenté d'analyser au travers de l'exemple de Bach (détournement
de l'Art, culte de la personnalité, dogme de l'infaillibilité du compositeur,
théorie de l'illusion...), de notre point de vue, ne sont pas propres à ce
compositeur et interviennent plus ou moins à propos de tout compositeur reconnu
comme grand compositeur par l'intelligentsia musicale.
Les hyperboles, notamment par l'emploi, d'un vocabulaire
d'ordre hagiographique, se retrouvent pour Mozart nommé souvent le divin
Mozart. D'autre part, l'émergence de Beethoven semble due principalement à des
facteurs extra-musicaux si nous en croyons l'étude réalisée par Tia Denora (Beethoven
et l'invention du génie in Actes de la recherche en sciences sociales -
Musique et musiciens n° 110 décembre - Le Seuil, Paris, 1995). Le
compositeur serait parvenu à s'imposer, outre par ses efforts personnels,
essentiellement grâce au soutien de la bourgeoisie viennoise qui aurait opéré
à son égard un véritable lancement promotionnel.
Cependant
il nous apparaît que ces phénomènes sont particulièrement prononcés à
propos du Cantor en le favorisant alors qu'ils ont, par la même logique, plutôt
défavorisé son contemporain Vivaldi. Cette dernière remarque justifie le
parallélisme que nous avons développé entre les deux compositeurs, qui n'a
pas pour but initial de valoriser (ou dévaloriser) l'un par rapport à l'autre,
mais de rendre plus démonstrative notre analyse.
Bach
est-il un grand compositeur ? La réponse à cette question dépend
essentiellement d'un jugement de valeur sur les oeuvres, qui est purement
subjectif, elle dépend également de l'authenticité de certaines œuvres
fondamentales sur lesquelles nous n'avons aucune certitude. Le faisceau
concordant de faits établi ci-dessus (pression idéologique dans l'émergence
et le maintien de la notoriété de Bach, très nombreux emprunts, désattributations
d'ouvres célèbres, absence d'innovations, complaisance dans un style éculé
incompatible avec l'expressivité, tendance très nette à la compilation, goût
pour la numérologie, pour les combinaisons intellectuelles plus que pour l'expression
musicale, faible succès du vivant du compositeur, succès orchestré au
19e et 20e siècle par la médiatisation partisane des Intellectuels...…)
constitue à notre sens un constat accablant permettant de contester l’importance
historique que l’on a accordée à ce compositeur et incitant à la plus
grande réserve sur l’intérêt musical spécifique pour le public mélomane d’un
grand nombre de ses œuvres.
©
Claude Fernandez 10/2002
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BIBLIOGRAPHIE
DES DOCUMENTS CITÉS
Aguettant, Louis - La musique de piano des origines à
Ravel- Albin Michel, Paris, 1954 (parution posthume)
Bouquet,Boyer, Marie-Thérèse - Vivaldi et le concerto
- Editions Que Sais-je (PUF), Paris, 1985
Buchet, Edmond - Connaissance de la musique - Éditions Correa, Paris, 1942
Candé, Roland de - Jean-Sébastien Bach - Seuil, Paris,
1984
Candé, Roland de - Nouveau dictionnaire de musique -
Seuil, Paris, 1986
Candé, Roland de - La musique, Histoire, dictionnaire,
discographie - Seuil, Paris, 1969
Cannone, Belinda - Philosophies de la musique (1752-1780)
- Aux amateurs du Livre, Paris, 1990
Challey, Jacques, Les Passions de Jean-Sébastien Bach -
PUF, Paris, 1963
Combarieu, J. - Histoire de la musique des origines à la
mort de Beethoven Tome II du 18e siècle à la mort de Beethoven - Librairie
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